Déjà enfant, j’avais observé une totale dichotomie dans mes expériences. Je me sentais tout à fait détaché, en parfaite harmonie avec l’univers, et la minute suivante, je sombrais dans le plus sombre désespoir et je voulais disparaître, mourir. Du bonheur paradisiaque à la tristesse suicidaire.
Bien sûr, je ne voulais vivre que les moments agréables. Et ce souhait déclencha la recherche. Non pas de la vérité ou de la libération, vois-tu, mais du bonheur permanent, de l’abolition de la souffrance. Dès le début, ce fut mon but.
Ce qui impliquait la recherche de moyens et d’outils appropriés. D’abord le sexe : cette expérience me révéla que la soi-disant petite mort, ou orgasme, est une satisfaction fort passagère, et qui dépend d’un partenaire. Ce n’était donc pas une solution.
Puis à travers les drogues, qui peuvent créer un état libre de souffrance. Mais par la suite, lorsque leurs effets s’estompent, il reste encore plus de souffrance.
L’affection ou l’amour des amis, de la famille ou d’un partenaire perdit aussi de son sens lorsque je constatai que mon bien-être dépendait de leur comportement. Cela ne résolvait pas non plus mon problème.
Puis je commençai à lire des livres ésotériques, principalement sur la religion, les shamans, la magie, etc. Pendant toute une période, je fus fasciné par Castaneda, don Juan et la notion de liberté.
Jusqu’à la fin des années 70, où je pris soudain conscience, au cours d’un rêve, que j’étais en train de rêver. C’est alors que je me souvins d’une technique de don Juan qui consistait à observer ses propres mains tout en rêvant. Je soulevai alors mes mains pour les examiner.
Tout à coup, quelque chose qui jusque-là avait paru dormant, s’éveilla en moi ; et dans cet éveil, d’abord mes mains, puis mon corps tout entier, commencèrent à se dissoudre.
Je reconnus la mort. Et cette constatation déclencha instantanément la peur. Tout d’abord, je me débattis pour sauver ma vie avec une énergie que je n’avais jamais connue auparavant. Une force inexplicable, qui m’apparut comme un vide noir, était sur le point de m’exterminer. Même après m’être réveillé, le combat persista dans mon lit.
Ensuite, après ce qui parut durer cinq heures, une acceptation de cette extinction survint brusquement, et ce qui avait pris la forme d’un vide noir se transforma en lumière éblouissante : c’est ce que j’étais devenu. Une lumière brillant de son propre éclat.
Après ce qui sembla une éternité, lentement, cette lumière fit place à la perception normale de Karl et du monde. Tout reprit la même apparence qu’avant, mais la perception était maintenant absolument détachée de ce qui était perçu. Une distance et une aliénation totales par rapport au monde.
" Ce n’est pas ma maison " , fut la seule pensée. Le » ma » se perdit dans un état sans » je « .
Avec l’éveil de la conscience cosmique, le processus de dissolution du concept » Karl » avait commencé.
Dans cette prise de conscience où les expériences se révélaient fausses et prenaient l’apparence du rêve, ce n’était qu’une question de temps pour que l’histoire personnelle, et avec elle l’histoire de l’univers, soit consumée par le feu de cette conscience.
Ce processus » de la conscience individuelle à la conscience cosmique « , du personnel à l’impersonnel, que l’on appelle illumination, est toujours unique et ne peut jamais être reproduit ni imité. De même que seul existe l’Etre absolu, de même chaque expérience est absolument originale.
Pendant une longue période d’une quinzaine d’années, cette conscience impersonnelle fut ma demeure. KO (coma) était devenu OK (amok). J’étais un » rien » ambulant. Totalement identifié avec ce » rien « .
Le propriétaire de rien. Le petit » je « , maintenant énorme, étais devenu un rien gigantesque. L’arrière-plan regardant le premier plan comme une illusion. Une illusion en contemplant une autre. Le soi-disant témoin. La sagesse déclarant : » Je ne suis rien « .
Apparemment, quelque chose considérait ce non-être comme un avantage, et pour cette raison sourdait une peur subliminale de perdre le privilège de cette clarté.
Jusqu’à ce que, au cours des années 90, d’un présent à l’autre, comme un simple coup d’œil, un simple » Ah ! Ah ! « , survienne la certitude absolue d’être ce qui est. D’être ce qui jamais ne peut être, ni jamais ne fut, autre que le Soi.
Le Soi existe et il n’existe rien d’autre que le Soi, et cela signifie l’acceptation totale de ce qui a toujours été. Cela signifie la connaissance de Soi, la réalisation du Soi.
Que le vécu soit personnel ou impersonnel, l’absolu est toujours le Soi absolu, et n’a jamais besoin d’aucune réalisation.
Le Soi est toujours réalisé et ce qui se manifeste comme la conscience dans la réalisation (actualisation de la réalité) ne se réalisera jamais soi-même. C’est dans ce sens qu’il n’y a jamais eu de personne réalisée et donc de nécessité de se réaliser.